La leucoplasie orale
Introduction
La leucoplasie orale est définie comme une lésion buccale potentiellement maligne sur la base de son apparence clinique, le diagnostic microscopique peut affirmer ou écarter l’état précancéreux.
Le terme leucoplasie, qui désigne les plaques blanches de la muqueuse, a été inventé par Schwimmer, un pathologiste hongrois, dans la seconde moitié du 19e siècle. Selon l’OMS le terme « lеսcoplasie » devrait être réservé aux plaques blanches dont le risque est discutable, après avoir exclu d’autres maladies ou troubles connus qui ne comportent pas de risque accru de ϲаnϲеr.
La leucoplasie buccale est un diagnostic clinique d’exclusion. Si une tache blanche buccale peut être diagnostiquée comme une autre affection, telle qu’une candidose, un leuco-œdème, un naevus blanc, un lichen plan, une kératose, une stomatite. L’aspect blanc de la Leucoplasie orale est souvent lié à une augmentation de la couche de kératine superficielle (hyperkératinisation).
Epidémiologie et facteurs de risque
La lеucoplasie orale n’est pas rare. La prévalence dans la population générale se situe entre 0,3 et 4,1 %, avec une forte hétérogénéité. Les facteurs de risque sont le tabagisme et la consommation d’alcool. Il a été démontré que la leucoplasie est associée à l’infection par le papillomavirus humain (HPV).
La grande majorité des leucoplasies ne sont pas potentiellement malignes ou présentent un risque très faible.
Pathogénèse
La pathogénie de la lеucoplasie orale est inconnue, considérée comme une étape intermédiaire de la carcinogenèse orale, entraînée par de multiples mutations génétiques somatiques affectant la croissance, la survie et le contrôle du cycle des kératinocytes.
Une expression accrue de l’antigène leucocytaire humain (HLA) G/E, de l’interleukine (IL) 10, du facteur de croissance (TGF)-bêta 2/3, de la protéine de mort cellulaire programmée (PD-1) et (PD-L1) a été démontrée. Une densité accrue de cellules CD8, ainsi qu’une surexpression de PD-L1
Clinique
Les leucoplasies idiopathiques et les lésions dysplasiques n’ont aucun aspect clinique spécifique. Les sites de lésions plus fréquents sont la muqueuse buccale et la lèvre inférieure.
La leucoplasie se présente sous la forme de taches blanches sur la muqueuse buccale qui ne peuvent être enlevées avec une gaze. Elle est cliniquement classée en deux formes, la lеucοрlаsie homogène et la lеucoplasie non homogène, cette dernière présentant un risque plus élevé de ϲanϲеr buccal par rapport à la forme homogène.
Un consensus a été atteint pour diviser cliniquement les leucoplasies en type homogène et non homogène .
La leucoplasie homogène
E l l e se caractérise par une lésion uniforme, fine, avec surface lisse ou ridée présentant des fissures peu profondes, mais une texture constante dans l’ensemble.
La leucoplasie non homogène
Lésion blanche et ou rouge qui peut être à prédominance irrégulière, de forme nodulaire ou exophytique. Les lésions nodulaires présentent des excroissances légèrement surélevées, arrondies, rouges ou blanchâtres. Les lésions exophytiques présentent des projections irrégulières, émoussées ou pointues . Le terme non-homogène s’applique à l’aspect de la couleur (lésion mixte blanche et rouge) et de la texture (exophytique, papillaire ou verruqueuse) des lésions.
En ce qui concerne les lésions verruqueuses, il n’existe pas de critères cliniques reproductibles permettant de distinguer l’hyperplasie verruqueuse, l’hyperplasie verruqueuse proliférative et le carcinome verruqueux. Toute lésion persistante sans étiologie apparente doit être considérée comme suspecte. Une période de 2 à 4 semaines semble acceptable pour observer la régression ou la disparition de la leucoplasie après l’élimination des facteurs causaux possibles. Passé ce délai, une biopsie est indiquée
Lеucoplasie verruqueuse proliférative
C’est une forme rare, multifocale et agressive de la leucoplasie non homogène associée à un risque élevé de transformation maligne.
Leucoplasie mouchetée (érythroleucoplasie).
La terminologie actuelle considère ces lésions comme une variante de la leucoplasie plutôt que comme une entité spécifique,
L’observation selon laquelle de nombreuses leucoplasies mouchetées ont pu être classées auparavant comme leucoplasie peut expliquer pourquoi certains observateurs ont trouvé dans le passé une fréquence si élevée de transformation maligne dans ce qui était classé à tort comme des leucoplasies mouchetées.
Caractéristiques associées à un risque accru de cancer
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Diagnostic clinique
Le diagnostic de lеucoplasie est suspecté chez les patients présentant une lésion blanche de la muqueuse buccale qui ne peut pas être enlevée par le passage d’un morceau de coton, qui ne semble pas être de nature traumatique, frictionnelle ou réactionnelle et qui persiste après avoir éliminé les facteurs étiologiques potentiels, tels que la friction mécanique, pendant une période de six semaines. Le diagnostic différentiel comprend un large éventail d’affections se présentant sous forme de plaques blanches : kératose frictionnelle, lichen plan, lupus érythémateux discoïde, fibrose sous-muqueuse, candidose.
Pathologie
Le diagnostic définitif nécessite une biopsie et un examen histopathologique afin d’évaluer la présence et le degré de dysplasie et d’exclure d’autres troubles bucco-dentaires qui se présentent sous la forme de lésions blanches. Il est recommandé de prélever des échantillons de plusieurs zones de la lésion.
Les caractéristiques histopathologiques de la lеucoplasie peuvent être les suivantes :
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Parfois, des zones de ϲаrϲinome in situ ou même de ϲаrсinоme invasif peuvent être retrouvées en contiguïté ou au sein des lésions.
La dysplasie épithéliale, le carcinome in situ ou invasif ont été rapportés dans 10 à 60 % des lésions. 8 % présentent une dysplasie légère, 5 % une dysplasie modérée et 2 % une dysplasie sévère.
Conduite à tenir
Il n’y a pas de consensus sur l’approche de la prise en charge. Les patients doivent suivre un programme de surveillance à intervalles réguliers, en fonction du risque.
Le choix du traitement se fait en fonction de :
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Les décisions thérapeutiques doivent suivre l’évaluation histologique de la lésion par de multiples prélèvements biopsiques.
Les options thérapeutiques comprennent la chirurgie, les thérapies destructrices (ablation au laser, cryochirurgie), les thérapies médicales (rétinoïdes, vitamine A, caroténoïdes, anti- inflammatoires non stéroïdiens, immunomodulateurs (imiquimod) et l’attente avec suivi clinique et histologique.
- Excision chirurgicale – Bien que la chirurgie soit considérée comme le traitement de premier choix, cependant l’excision chirurgicale des lésions non dysplasiques n’apporte aucun bénéfice par rapport aux soins standards (visites de suivi tous les six mois et biopsies répétées si nécessaire).
L’ablation chirurgicale des lésions de petite taille (jusqu’à 3 cm dans le grand axe), en particulier lorsqu’elles sont cliniquement non homogènes, situées dans des zones à haut risque (bord latéral/ventral de la langue, plancher de la bouche), ou qu’elles présentent une dysplasie à la biopsie, est indiquée.
Revoir les patients tous les trois mois au cours de la première année après l’intervention chirurgicale et une fois par an par la suite.
- Excision au laser – L’excision au laser peut présenter certains avantages, tels qu’une bonne hémostase pendant l’intervention et une cicatrisation plus rapide, en particulier en cas de lésions étendues. Toutefois, cette technique peut entraîner des altérations tissulaires susceptibles de compromettre l’analyse histopathologique. Les taux de récidive rapportés après une excision au laser CO2 vont de 10 à plus de 50 %.
Les thérapies médicales comprennent les rétinoïdes, la vitamine A, les caroténoïdes et les AINS. les études ne démontrent pas une réelle efficacité.
Les lésions qui ne peuvent pas être complètement retirées chirurgicalement en raison de leur grande taille (>3 cm pour le plus grand diamètre), de leur multifocalité ou de la préférence du patient, ainsi que les lésions qui ne présentent pas de dysplasie épithéliale peuvent être prises en charge par des approches conservatrices, y compris l’arrêt des habitudes à risque (par exemple, le tabagisme et l’alcoolisme) et la surveillance clinique et histologique.
Pronostic
La récidive locale ou le développement d’un ϲаrсinome oral se produit malgré l’ablation chirurgicale dans 2 à 57 % des patients ayant subi une excision.
Certains patients finissent par développer un carcinome in situ ou invasif.
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